Serge Lama – Aimer

Depuis toujours, Serge Lama arpente l’amour – le sentiment, l’urgence, la félicité, le désespoir, la chair, la douleur… Son vingt-quatrième album porte le plus simple et le plus impératif des titres : Aimer. Émerveillement et délectation, promesse et bilan, il dit tout : « C’est Moïse écartant la mer / C’est vivre deux vies à la fois / C’est manger l’âme avec les doigts / Aimer, aimer, aimer ».

Six ans après son précédent album, Où sont passés nos rêves, il revient enfin. Le chantier a été retardé par le Covid, et entretemps cet ogre de la scène a convenu qu’il ne donnerait plus de concerts. Aimer, enregistré au printemps, sort donc quelques mois avant le cinquantième anniversaire du légendaire 33 tours qui, en 1973 et après neuf ans de carrière, faisait de lui une star – Je suis malade, Les P’tites femmes de Pigalle, Les Glycines, La chanteuse a vingt ans… La splendeur des arrangements de Jean-Claude Petit avait fait une grande partie du succès de l’album et Serge Lama a voulu le retrouver pour celui-ci. Et le rouge de la pochette, le portrait dessiné, les polices de caractères du visuel d’Aimer font référence à la pochette de Je suis malade.

Comme toujours, Serge Lama passe du très grave au joyeux, en verseau ascendant plutôt pessimiste et baudelairien, mais volontiers ivre de rire et d’amour. Alors il ramasse toutes les ultramodernes solitudes dans Le Retraité, titre poignant et douloureux (« J’ai pas assez d’argent  / Pour être intelligent »), et il partage quelques-uns de ses enthousiasmes actuels – « une passion », corrige-t-il en ce qui concerne Le Geste de Roger Federer. Il se moque d’un Beau mec, il se gonfle de radieuse confiance dans Demain est à nous…  

Mais il se souvient aussi d’un « moment épouvantable, le 4 janvier 1960 » lorsque, jeune homme, il apprend la mort dans un accident de voiture d’un des plus grands et justes esprits du siècle. Dans Camus, il dit donc : « Mon héros tu demeures / Toi qui es mort d’un Dostoïevski dans le cœur ». Et, au rayon littérature, il célèbre aussi Moby Dick, immense roman de sa jeunesse relu plusieurs fois tout au long de sa vie – et quête mythique du capitaine Achab et de ceux qui espèrent toujours la baleine blanche.

Quant à lui, il n’en fait pas mystère : il aime. Il a épousé, début 2021, Luana Santonino qui veillait depuis des années sur sa carrière. Et « trois ou quatre titres sont dédiés à Luana ». Le sentiment court aussi en coulisses : Serge entend une chanson d’Hélène Blazy, épouse de Jean-Claude Petit, qui compose principalement pour l’image et la salle de concerts classiques. Or Aime-moi est un duo et, tout naturellement, il propose à Luana de chanter avec lui. La voix juste, portée par le texte radieux d’Inès Dauxerre, elle sera sur l’album à condition – elle y tient – de ne jamais aller l’interpréter à la télévision.

À part cette chanson, Serge a tout écrit, fidèle à son plaisir de passer de l’air du temps à l’intemporel, du singulier au commun, des jubilations aux agacements. « Aucun thème ne m’est étranger dès lors que j’ai les quatre premiers mots, résume-t-il. C’est le départ de feu et la forêt s’embrase. »

Le rigoureux complice Sergio Tomassi a veillé à la production vocale. Accordéoniste de milliers de concerts de Serge Lama, il a toute sa confiance pour l’entendre mieux que quiconque et diriger ses prises de voix dans le vaste vaisseau de splendeurs appareillé par Jean-Claude Petit – orchestre en Cinémascope, arrangements au plus près des intentions des textes, pointes légères d’humour ou de complicité…

Les mélodies viennent de fidèles comme Yves Gilbert, Sergio Tomassi, Roger Loubet ou Marie-Paule Belle, mais aussi de Davide Esposito (rencontré au précédent album) ou les « jeunots » Augustin Charnet et Marc Demais. L’humeur radieuse, la voix fervente et les mains ouvertes de Serge Lama font le reste. Une histoire d’aimer, comme il y a cinquante ans, et comme pour toujours.

LE MOT DE SERGE

C'est une vie 
Une vie d'envie
Solitaire à plusieurs 
J'y ai mis tout mon cœur 
Ceux qui m'aiment 
Sont les mêmes 
Et depuis si longtemps fidèles 
Qui m'ont laissé battre des ailes 
Qui m'ont laissé battre du cœur 
Qui m'ont jeté parfois des fleurs 
Parfois m'ont corrigé de larmes 
Ma voix, mes bras lancés, mes armes 
Mon regard, geste de mon âme 
Mon regard, reflet de ma flamme 
Oui tout cela vous appartient 

Sans peur j'abordais tous les thèmes 
Pas dans les clous, parfois scabreux
Pas dans le vent, jadis en creux
Toujours pris entre deux baisers 
Non tranquille, non apaisé 
L'homme qui cherchait le miracle 
Quasiment à chaque spectacle 
L'homme de feu, celui de larmes 
Qui ne rendait jamais les armes 

Étant l'homme blessé 
Je fus l'homme pressé 
L'homme qui court après son nombre
De spectateurs, l’homme au tant d'ombres 
L’homme de joie, l'homme qui souffre 
Celui toujours entre deux gouffres 
L'homme d'ennui et de soleil 
Aimant ce qui n'est pas pareil 
Ce sort du lot des mots d'encre 
Qui si difficilement s'ancrent

Je n'étais pas fait pour le son
Mais pour musiques sur paroles
Mes mots sous les belles musiques
Yves et Alice, élans cosmiques
J'étais d'une autre époque, oui
Au large du "bel aujourd'hui"
De Mallarmé qui nous étrangle
Et qui nous serre dans sa sangle
Qu'on rappe donc ces quelques vers
Et qu'on éteigne l'univers
Des mots d'hier, des mots savants
Dont Brassens s'emparait souvent
Dont Brel brandissait l'étendard
Dont Ferré faisait son drapeau
Le français me crève le cœur
Mignonne allons voir si la fleur ?

J'étais fou furieux je l'avoue
Sans doute pour l'amour de vous
Peut-être par besoin d'aimer
D'être de bravos parfumé
D'aller au bout de quelque chose
Plus fort que les vers, que la prose
Une liberté idéale
Ô public ! Je fus ton féal
Et ton fol serviteur zélé
Toujours à chercher qui il est
Toujours à courir autre part
Atteindre le sommet d'un art
Que j'ai touché mais sur le tard

Cet homme-là oui je le fus 
Je m'arrête, je suis repu
C'est l'heure, j'ai quatre-vingts ans 
J'ai tout donné quand l'œil luisant 
J'affrontais des foules énormes 
Le temps m'installe dans ses normes 
Je l'accepte bon gré mal gré 
En humble artisan, sans regrets 
Comme un paysan j'ai creusé
Mon champ de larmes arrosé
Toujours ouvert vers l’horizon
Et ce fut ma juste moisson

Serge Lama

Serge Lama

Aimer

Newsletter

Liens